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MES VOYAGES

 

 

Quand on est amateur d’automobiles depuis la naissance, s’il y a bien quelque chose qui nous accompagne tout au long de cette passion, c’est la route. Et quoi de plus mythique que la route 66 pour jumeler amour de l’automobile et grands espaces propices à son épanouissement ? Ce légendaire ruban, long de plus de trois mille neuf cent kilomètres, traversant huit États pour relier Chicago, Illinois, à Los Angeles, Californie, a marqué des décennies de voyageurs pionniers dans le déplacement automobile, dont beaucoup partaient chercher un avenir meilleur vers l’Ouest. Ouverte en 1926, la route a été officiellement fermée en 1985, terrassée par les autoroutes. Elle a été retirée des cartes officielles et ce n’est que dernièrement qu’une poignée de passionnés est arrivée à faire reconnaitre officiellement certaines parties du tronçon original comme faisant partie de la « route 66 historique », ce qui a provoqué son retour sur plusieurs atlas officiels. Donc, actuellement, on peut rouler sur environ 85% du tracé original.

 

Ma première découverte de la route 66, je l’ai faite en 1981, alors que j’avais vingt-trois ans. À cette époque, avec ma blonde, et 500$ en poche, j’ai décidé de me lancer dans la grande aventure : faire le lien entre Alma, Lac-Saint-Jean, et Santa Monica, Californie. Ça relevait tout à fait du périple juvénile aventureux : beaucoup de soif de découvertes et aucune préparation.  Il faut dire que nous n’étions pas riches : il ne s’agissait de ne pas tomber en panne. Nous avons suivi un régime à base de beaucoup de beurre de peanuts et de bananes et on a guetté les spéciaux chez McDonald’s tout au long du chemin, mais ça reste l’un des plus beaux voyages de ma vie.

 

Nous avons rallié la Californie en moins d’une semaine, parce qu’on était jeunes et impatients, mais aussi parce qu’on n’avait pas d’argent pour se payer des motels tous les soirs ! L’arrivée sur la côte du Pacifique fut inoubliable. On a vécu quelques semaines à Point Mugu, une state beach sur la côte du Pacifique, dans une petite tente d’un mètre de haut, c’était vraiment la bohème motorisée. Lorsque nous sommes inévitablement arrivés à court d’argent, on a décidé de remonter la côte, de Santa Monica à Vancouver, en parcourant la route 1 : Pacific Coast Highway, qui déroule ses paysages magnifiques tout au long du chemin. Arrivés de l’autre côté de la frontière, nous n’avions pas plus le goût de rentrer chez nous, et on souhaitait s’installer quelque temps à Vancouver. Toutefois, il a bien fallu gagner quelques dollars, je me suis donc retrouvé à assembler des vélos dans un Canadian Tire, ce qui n’a pas semblé représenter un emploi digne de ce nom pour les nombreux propriétaires d’appartements que nous avons rencontrés et qui nous ont tous refusés ! Notre aventure s’est donc terminée plus tôt que prévue par une traversée complète du Canada d’ouest en est, jusqu’au Québec.

 

Tout ce trajet s’est accompli à bord d’une vieille Coccinelle fatiguée qui avait plusieurs années au compteur, mais sans aucun incident mécanique majeur, en dehors d’un pneu crevé et d’un silencieux d’échappement à remplacer. Le secret pour préserver une monture comme cela sur une telle distance ? Changements d’huile réguliers, ajustements des valves fréquents et surtout conduite pied au plancher, véridique !

 

Cette traversée n’a pas été la dernière, puisque j’ai parcouru en tout neuf fois la route 66, sur des montures allant de la Coccinelle asthmatique à la Ford Mustang cabriolet, en passant par le motorisé de quarante pieds et jusqu’à la Harley-Davidson. Et à chaque fois, ça a été une aventure, que j’ai vécue parfois seul, souvent avec mon meilleur ami, et quelques fois avec mes enfants. Si l’on entend occasionnellement que, « dans les voyages, ce n’est pas la destination qui compte, mais bien la route pour y arriver », dans ce cas-là, l’adage se vérifie : c’est toujours rafraichissant de se tremper les pieds dans le Pacifique, mais on est tout de même un peu déçu d’arriver.

 

Si on doit donner une image typique de la route 66, ce serait celle d’une route à deux voies, au milieu du désert et de la chaleur écrasante, abandonnée sur une grande partie de son tracé. En effet, depuis la construction de l’autoroute qui la suit à la trace, la mythique voie tombe peu à peu dans l’oubli. Heureusement, il reste quelques passionnés, dont je fais partie, pour la préférer à la rapide mais terriblement ennuyeuse autoroute. La 66 permet de découvrir l’Amérique, la vraie. Pas celle de New York ou de Los Angeles, mais celle d’Amarillo, Texas, de Joplin, Missouri ou d’Albuquerque, Nouveau-Mexique. Celle où l’on peut encore croiser des motels de la fin des années quarante encore ouverts, avec des enseignes sur lesquelles le M est allumé, le O manque de s’incendier lui-même, le T est déjà à terre et je ne parle même pas du reste des lettres ! Même s’il faut vérifier quatre fois les draps avant de se coucher dedans, ce genre d’endroit vaut tous les Ritz-Carlton de la Terre. C’est enfin le symbole d’un temps perdu, mais aussi d’une philosophie : une façon de vivre moins stressé, de prendre son temps et de profiter des choses simples.

 

Si l’on pouvait choisir sa mort, pour ma part je voudrais que ca soit au volant d’une ancienne voiture, quelque part le long de cette route légendaire, pour devenir ainsi le fantôme de la route 66.

 

Je prépare d’ailleurs ma 10e route 66 que je devrais réaliser en juin 2020. Cette fois je vais mériter un tatou Rte 66!